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Le changement dans les organisations : préserver l’équilibre ou permettre l’évolution ?
par Guillaume Leroutier
Auteur du livre Vous avez dit communiquer ? (2ème édition, Gereso éditions 2008)
Le changement est un vaste sujet qui fait couler beaucoup d’encre. Je vous propose d’aborder ici le changement sous un angle systémique.
L’approche systémique met en relief que tous les éléments d’un système (une entreprise est un système) sont interreliés entre eux et qu’un changement ou une décision affectent, avec une intensité variable, chaque élément du système.
Par exemple, au sein du service d’une entreprise, l’arrivée d’une nouvelle personne vient modifier les relations, oblige le chef d’équipe à une nouvelle clarification des rôles, introduit de nouvelles compétences qui vont permettre une performance supérieure et l’atteinte de nouveaux objectifs, à condition que l’intégration de cette personne se déroule bien. Selon la qualité avec laquelle elle est gérée, l’arrivée d’une seule personne dans une équipe aura donc un impact plus ou moins positif sur l’organisation de celle-ci.
Sous cet angle, le changement est alors perçu comme un processus qui agit sur tous les éléments du système par effet « domino ». Un changement a donc un effet « multi-impact ». Cela signifie que son impact ne se limite pas là où il se manifeste de façon visible et immédiate dans un premier temps, mais s’étend au-delà en touchant tous les autres éléments (personnes, équipements, budgets, projets…) reliés d’une façon ou d’une autre aux éléments concernés directement par le changement initial.
Comme coach intervenant au niveau des équipes, j’ai déjà rencontré la situation où l’arrivée d’une seule personne dans un service a fini, quelques mois après, à remettre en cause la qualité du fonctionnement hiérarchique de toute la PME ! C’est à ce moment-là que l’on a fait appel à mes services, pour aider à dénouer cette crise.
L’approche systémique distingue deux niveaux de changement : le changement de niveau 1 qui se déroule au sein d’un système sans en modifier véritablement les règles et le changement de niveau 2 qui amène à modifier la structure du système lui-même.
Le changement de niveau 1 : préserver l’équilibre
Plus on change, plus c’est pareil !
Anonyme
Il concerne une modification de certains éléments à l’intérieur d’un système sans que cela entraîne une évolution du système lui-même. Pour donner une analogie, c’est un peu comme appuyer sur la pédale d’accélération de votre voiture, cela permet d’augmenter sa vitesse, donc de produire un changement, sans pour autant modifier la configuration de la voiture.
Ainsi, un ou plusieurs éléments à l’intérieur d’un système peuvent changer sans que le système lui-même ne change. Tant que ce changement est supporté par le système, il sera vite assimilé par celui-ci, ce qui révèle une bonne capacité d’adaptation du système. Par ailleurs, si le changement en cours est mal supporté par le système, il révèle une faille dans ce dernier.
Par exemple, un responsable des ressources humaines peut décider d’amener à nouveau dans son bureau deux personnes qui sont en conflit dans le même service. Il peut leur demander à nouveau de s’écouter pour comprendre leurs différents. Il peut même jouer le rôle de médiateur le temps de la rencontre à trois dans son bureau.
Seulement, s’il le fait de façon trop hâtive, les deux personnes vont simplement évoquer des éléments superficiels, tels que leurs façons différentes de s’organiser ou que l’une est « plus extravertie et directe dans ses propos » et que l’autre « est plus réservée et nuancée ». A la fin de l’entrevue de médiation, elles peuvent approuver en apparence qu’elles se comprennent mieux, et cela leur permettra peut-être de mieux travailler ensemble pendant quelques jours. Cependant, le fond du problème n’est pas véritablement résolu puisqu’il n’a pas été abordé ! Dans ce cas, la véritable raison du conflit est que ces deux personnes convoitent le même poste dans l’entreprise et qu’elles savent que dans quelques mois, il n’y aura qu’un seul élu.
Il suffira alors d’une seule étincelle dans les jours qui suivent l’entrevue (une remarque d’une autre personne par exemple) pour que le conflit entre elles resurgisse et s’embrase à nouveau.
Ici, le responsable ressources humaines n’a fait que rétablir un statu quo en évitant d’aborder et de traiter le véritable enjeu (soit parce qu’il n’en n’a pas l’autorisation de la part de sa hiérarchie, soit parce qu’il pense que « c’est mieux de ne pas envenimer les choses en parlant de leurs intérêts incompatibles », soit parce qu’il ne sait pas « comment aborder ce type de conflit »). En agissant ainsi, il a maintenu un « certain confort » pour un certain temps. On pourrait donc dire que ce responsable a réussi un changement en les amenant à s’écouter un peu le temps d’une entrevue de façon à ce qu’elles puissent de nouveau « travailler ensemble » au moins pour quelque temps.
Cette stratégie pour traiter un problème, c’est-à-dire affronter un changement nécessaire, n’est pourtant pas optimale. Elle est trop superficielle et donc temporaire.
Un système qui n’a pas la souplesse et la maturité pour pouvoir voir et gérer les véritables enjeux s’expose au retour en boucle de ceux-ci ce qui entraîne un pourrissement de la situation et amène plusieurs conséquences à moyen terme :
- démotivation
- jalousie
- rétention d’information
- climat d’équipe et cohésion moins forte
- baisse de la qualité dans le service-client
- baisse de l’esprit d’initiative et de la responsabilité individuelle
- Perte de confiance dans le leadership du chef d’équipe
- Perte de confiance dans le leadership des responsables de l’entreprise en général
Dans cet exemple, la faille du système est l’incapacité des leaders à traiter des conflits d’intérêts.
Les personnes impliquées dans ce type d’enjeu gagneraient alors à le traiter rapidement pour permettre un véritable changement, c’est-à-dire un changement de niveau 2.
Le changement de niveau 2 : permettre l’évolution
Il faut penser le changement plutôt que changer le pansement.
Francis Blanche
Lorsque la solution adoptée pour résoudre une difficulté ou dépasser un obstacle n’est qu’un pansement qui permet de masquer les véritables manques dans la gestion de l’entreprise, le système finit par tourner en rond et par perdre en efficience. On s’est simplement donné l’illusion du changement. La solution adoptée est devenu le vrai problème !
En fait, lorsque le système adopte le « réflexe du chat » , il ne fait que « retomber sur ses pattes » en continuant à fonctionner en croyant avoir préservé « l’équilibre et le confort » antérieurs.
Cela correspond malheureusement au « syndrome de l’autruche » qui consiste à « mettre la tête dans le sable » pour éviter de voir et surtout d’engager les changements réellement nécessaires pour s’adapter vraiment - et pas seulement en apparence - à la situation nouvelle et relever les défis en cours.
Seul un changement de niveau 2 permet ainsi de dénouer des crises, de franchir des étapes de croissance, de faire des choix éclairés par rapport aux défis que pose l’environnement.
Pour qu’un système trouve les solutions appropriées pour véritablement s’adapter, il doit alors :
remettre en cause certaines de ses règles de fonctionnement
- par exemple, établir une stratégie d’intégration pour les nouveaux arrivants dans chaque service de l’entreprise plutôt que de les laisser livrer à eux-mêmes.
se remettre individuellement en question
- Revenir aux faits pour clairement identifier la « mauvaise solution adoptée » qui fait revenir le problème en boucle.
- Réaliser que « plus on fait la même chose, plus on obtient le même résultat ».
- Adopter une nouvelle solution qui agit sur le véritable enjeu.
redéfinir les valeurs
- Les causes de dysfonctionnement dans les organisations dépendent parfois d’un « flou artistique » au niveau des valeurs. Les valeurs représentent ce qui est considéré comme important pour une entreprise. Ce sont des repères et des balises qui affichent clairement ce qui est toléré, permis, valorisé et ce qui ne l’est pas.
- Par exemple, dans le cas évoqué précédemment concernant un conflit entre deux personnes, le responsable de ces personnes peut rappeler qu’une des valeurs de l’entreprise est la « capacité à coopérer ensemble » et de rappeler que celle-ci est déterminante dans l’atteinte de l’objectif annuel de l’équipe. Si l’objectif commun n’était pas atteint en fin de saison, aucune des deux personnes n’obtiendrait le poste désiré. C’est donc cette valeur « la capacité à coopérer ensemble efficacement » qui déterminera qui aura le poste. Quelque soit la personne qui aura le plus « incarnée » ce critère au cours de l’année, elle saura que son ex-rivale est capable de travailler avec elle. Et celle qui n’aura pas obtenu le poste ne devrait pas être tentée par la suite de « mettre des bâtons dans les roues » à son ex-rivale, qu’elle soit dans le même service ou non, car elle perdrait sa crédibilité à jouer soudainement uniquement pour ses propres intérêts alors qu’elle a montré qu’elle était capable de « jouer collectif » au profit de l’objectif commun de l’équipe. Elle sera ainsi plus portée à accepter la décision de la hiérarchie et à en retirer les apprentissages pour pouvoir continuer à se fixer des objectifs personnels.
La souplesse, la capacité réactive, la capacité d’innovation, la cohésion des équipes de travail est à ce prix. Un changement de niveau 2 touche donc à la structure du système. Il ne vise pas le retour au confort antérieur, mais la flexibilité et l’évolution. Il suppose la remise en question individuelle, l’évolution des règles et le repositionnement des valeurs en cohérence avec la vision de l’entreprise.
C’est donc un changement moins confortable mais plus efficace à long terme !