Articles

Articles

La double contrainte

La double contrainte

par Robert Dilts

Une «double contrainte » est un type spécial de conflit qui engendre une situation «non-gagnante »; c'est-à-dire une situation dans laquelle «vous êtes damné si vous le faites, et vous êtes damné si vous ne le faites pas ».

Selon l'anthropologiste Gregory Bateson, qui le premier a défini la notion de double contrainte, ces conflits sont à l'origine à la fois de créativité et de psychose. Ce qui fait la différence, c'est d'être capable ou non d'identifier et de dépasser la contrainte de manière appropriée.

La structure essentielle de la double contrainte est la suivante : Si tu ne fais pas A, tu ne (survivras pas, ne seras pas en sécurité, n'auras pas de plaisir, etc.) Mais si tu fais A, tu ne (survivras pas, ne seras pas en sécurité, n'auras pas de plaisir, etc.)

Des doubles contraintes surviennent également dans des cadres professionnels. Considérons la situation d'une personne dont la charge de travail est devenue tellement importante qu'elle n'est plus capable d'y faire face. Faire une partie de son travail signifie qu'une autre partie ne sera pas faite. D'un autre côté, ne pas faire cette partie du travail signifie que celle-ci ne sera pas faite. Dans les deux cas, la personne ne fait pas son travail.

De nombreuses doubles contraintes ont un autre degré de complexité lorsqu'elles impliquent différents niveaux de processus qui créent un paradoxe et également un conflit. C'est-à-dire, ce que vous devez faire pour (survivre, être en sécurité, garder votre intégrité, etc.) à un niveau menace votre (survie, sécurité, intégrité, etc.) à un autre niveau. […]

Les doubles contraintes partagent souvent la qualité de la circularité […] et conduisent à un même sens de la confusion et de l'impuissance.  Des doubles contraintes, cependant, peuvent avoir des éléments supplémentaires qui les rendent encore plus confrontantes. Les doubles contraintes les plus intenses émotionnellement surviennent dans un contexte de relations interpersonnelles importantes. Elles impliquent souvent ce qui apparaît comme un combat de pouvoir dans lequel une personne essaie de «mettre mal l'autre personne ».

Résolution des doubles contraintes

Bien que les doubles contraintes soient assurément confrontantes, il est possible de s'en libérer dans certaines circonstances et avec des moyens appropriés. Se libérer d'une situation de double contrainte peut être essentiellement dû au fait de gérer chacune des «conditions » nécessaires pour produire la double contrainte. Cela implique de développer la capacité à:
  • Réduire l'intensité ou changer la nature de la relation qui provoque la double contrainte ;
  • Distinguer les messages contradictoires ;
  • Faire des méta-commentaires ;
  • Filtrer ou neutraliser les messages négatifs d'identité ;
  • Trouver un moyen de «sortir du cadre » ;
  • Empêcher cette situation de devenir une expérience récurrente.

Réduire l'intensité de la relation.

Le premier moyen que nous avons pour gérer les doubles contraintes est de tenter de réduire l'intensité de la relation. Certaines personnes essaient souvent d'accorder moins d'importance à la relation, à l'autre, ou à elles-mêmes. D'autres peuvent adopter la croyance «cela n'a pas d'importance », ou «rien n'a d'importance ». Bien que ces stratégies soient efficaces jusqu'à un certain niveau pour alléger le degré de souffrance associé à une double contrainte, elles ont également des inconvénients évidents à long terme; comme de conduire à l'apathie et à la torpeur émotionnelle.

Un autre moyen de réduire «l'intensité » de la relation est de se dissocier des réactions émotionnelles.

Cependant, il s'agit à nouveau d'une solution à court terme. Rester dissocié longtemps crée d'autres types de problèmes et de symptômes.

La solution à long terme pour réduire l'intensité d'une relation «provoquant une double contrainte » est d'établir de l'indépendance émotionnelle en développant une référence interne plus solide et en acquérant un sens plus clair de sa perspective de «première position ». Ceci peut se faire en identifiant et en ancrant des ressources personnelles et en exerçant une intégrité émotionnelle - par l'utilisation de phrases commençant par «je» par exemple. Une personne peut également réduire le degré de «complémentarité » dans la relation, en diminuant le «pouvoir» détenu par l'autre personne, en devenant moins dépendante d'elle. Certaines personnes «se détachent » littéralement d'une situation particulière de double contrainte.

Distinguer les messages contradictoires.

Une personne peut apprendre à distinguer les messages contradictoires en devenant plus consciente des incongruences dans les communications des autres. En particulier, une incongruence impliquant des «méta-messages » non verbaux. Souvent, des personnes se retrouvent confuses ou coincées simplement parce qu'elles sont incapables de détecter ces doubles messages lorsqu'elles les reçoivent.

De nombreuses doubles contraintes sont gravées dans des phrases de telle manière que la contrainte n'est pas évidente parce qu'elle est présupposée et non clairement émise dans la «structure de surface» verbale de la phrase. Ce type de phrases est ce que j'appelle un «virus de pensée ». Considérons une phrase comme «L'espoir fait mal ». Si l'on adopte cette croyance, on se met dans une position de choix entre le désespoir ou la souffrance. Aucun des deux n'est désirable. Cette double contrainte n'est cependant pas énoncée clairement dans les paroles mêmes. Il s'agit plutôt d'une conséquence sous-entendue de l'acceptation de cette affirmation.

[…] Une autre difficulté dans le tri des messages et des injonctions contradictoires qui créent des doubles contraintes est que l'un des messages, comme Bateson l'a souligné, est à un niveau «plus abstrait» que l'autre. Apprendre à lire ou à reconnaître ces messages «de niveau plus élevé » implique la capacité à mieux calibrer et interpréter les schémas de communication des autres personnes. Cela implique également la conscience qu'il existe, en fait, différents niveaux de communication. Affiner sa capacité à faire la distinction entre les messages adressés à différents niveaux de notre expérience (environnement, comportement, capacités, croyances, valeurs et identité) peut automatiquement aider à repérer les différents niveaux des messages. Comme Bateson l'a souligné, de nombreux problèmes dans la communication et dans l'interaction sont la conséquence de l'échec à reconnaître qu'il existe de multiples niveaux d'expérience, et la confusion ou le choc de différents niveaux de communication ou d'expérience qui en résultent doivent être distingués.

Le niveau auquel un message particulier s'adresse est souvent communiqué par différents méta-messages non verbaux. Considérons par exemple les différentes implications dans les messages suivants:

«Tu ne devrais pas faire cela ici.
»
«Tu ne devrais pas faire cela ici.
»
«Tu ne devrais pas faire cela ici. »

Basé sur le placement de l'inflexion de la voix, le message prend différentes implications selon le niveau particulier d'intensité. Tu (identité) ne devrais pas (croyances/valeurs) faire (capacité) cela (comportement) ici (environnement). C'est l'absence ou la présence de ces méta-messages qui détermine souvent comment un message est interprété, et s'il sera ou pas interprété de manière appropriée. Par exemple, si une figure d'autorité dit «TU n'as pas respecté les règles », c'est beaucoup plus comme un message sur l'identité. Si la personne dit «Tu n'as pas respecté les REGLES », alors elle met moins l'accent sur l'identité de l'individu que sur le niveau du comportement.
Faire des méta-commentaires

Distinguer des messages contradictoires, et reconnaître qu'il existe différents niveaux d'injonctions, peut amener naturellement à formuler des méta-commentaires. En commentant simplement l'incongruence que l'on observe, les injonctions contradictoires que l'on reçoit, et la confusion correspondante que l'on ressent, on est déjà naturellement en train de faire de la méta-communication - c'est-à-dire, communiquer à propos de la communication que l'on reçoit, ou à propos de la double contrainte que l'on expérimente.

Il est important que la méta-communication à propos de la double contrainte ne soit pas une accusation, mais plutôt une reconnaissance honnête de l'expérience de quelqu'un. Une structure de base pour une méta-communication à propos d'une double contrainte serait:

«Je suis dans une double contrainte à propos de X. 
«Si je ne fais pas X, je me sens "mal" parce que …
«Si je fais X, je me sens "mal" parce que … »

Poser la simple question suivante, «Que se passe-t-il dans notre relation  ? » peut aider à stimuler une métacognition et une méta-communication à propos d'une relation ou d'une interaction. Une autre conséquence importante des méta-commentaires est qu'ils peuvent rendre le «coupable » de la double contrainte plus conscient de ses messages incongruents. Ceux qui mettent les autres dans des doubles contraintes ne sont souvent pas conscients de leurs propres injonctions contradictoires. Parfois, être confronté à ses propres doubles messages entame un processus de changement chez une personne qui les envoie.

Filtrer et neutraliser les messages négatifs d'identité.

L'un des outils des plus importants pour la gestion des doubles contraintes est peut-être la capacité à filtrer et à neutraliser les messages négatifs d'identité (la «troisième » injonction dans la double contrainte.) Tout comme la capacité à détecter les incongruences dans une communication, cela implique de pouvoir distinguer les différents niveaux d'expérience. Une présupposition de base de la PNL, par exemple, est qu'il est important de séparer l'identité du comportement. L'un des éléments fondamentaux contribuant à la pathologie de la double contrainte semble être la relation entre des comportements particuliers et l'identité; à la fois du côté du «créateur » de la double contrainte, et du côté de sa «victime ».

Une double contrainte est un exemple classique de la phrase d'Albert Einstein qui dit «on ne peut résoudre un problème avec le même type (niveau) de pensée que celui qui crée le problème. » Donc, une échappatoire à une double contrainte est de distinguer et ensuite «sauter » les niveaux logiques. Lorsque cela se produit, plutôt que d'être une source de pathologie, une double contrainte devient une source de créativité et même d'enrichissement.

Comme exemple d'application du principe d'Einstein aux doubles contraintes, Bateson cite une anecdote de la méditation Zen. Un maître Zen prend un bâton et le donne à l'un de ses étudiants en disant «Si tu dis que ce bâton est réel, je te frapperai avec. Si tu dis que ce bâton n'est pas réel, je te battrai avec. Est-il réel ou pas? » Aussi longtemps que l'étudiant reste au même niveau de pensée que son maître a utilisé pour créer la double contrainte, il est coincé. Si l'étudiant lève simplement les bras et saisit le bâton, commence à chanter, ramasse son propre bâton et prétend «se battre à l'épée », etc. il a transcendé la double contrainte et a changé le contexte de la relation.

Trouver un moyen de «sortir du cadre ».

L'une des choses les plus frustrantes et pénibles dans les doubles contraintes provient de la «troisième injonction négative » qui empêche de s'échapper de la situation. Même si quelqu'un peut résoudre le reste de la situation de double contrainte, être capable de «sortir du cadre » peut souvent offrir assez de soulagement pour empêcher la situation de devenir intolérable. Avoir «un ailleurs » peut aider considérablement à soulager le sentiment de désespoir associé aux doubles contraintes.

Parfois, des personnes découvrent que rien ne les empêche réellement d'échapper physiquement à la situation. Au lieu de cela, ils sont prisonniers de leurs propres croyances, ou les limites de leur carte du monde. En se souvenant simplement qu'ils peuvent partir, qu'ils peuvent avoir d'autres choix, des personnes peuvent souvent s'extirper des aspects les plus insupportables d'une situation de double contrainte.
Un autre moyen de «sortir du cadre » est la dissociation mentale, qui implique de se mettre dans une «position d'observateur » ou «méta-position » par rapport à la relation. En PNL, une méta-position implique la capacité à se trouver à l'extérieur ou au-delà de soi-même, regardant non seulement ses propres actions mais également ses interactions avec d'autres personnes, comme si on regardait un film ou une vidéo. Cela donne une chance à la personne d'avoir une perspective différente ou de trouver un contexte qui ne peut pas être touché par la situation de double contrainte.

Empêcher la situation de devenir une expérience récurrente.

Une manière d'empêcher la «situation » de double contrainte de devenir une «expérience » récurrente est de développer des stratégies pour compartimenter ou isoler les situations de double contrainte; c'est-à-dire, distinguer les situations de double contrainte comme des «événements » au lieu de les percevoir comme une généralisation du sort ou de «l'identité » de quelqu'un. Comme avec les autres outils de gestion des doubles contraintes, ceci implique de distinguer les niveaux d'expérience. Un «événement » est un comportement qui survient dans un environnement particulier: un quoi dans un quand et un où particuliers. Percevoir quelque chose comme une expérience récurrente ou un schéma de vie impliquerait sa généralisation au niveau des croyances et de l'identité: à qui et pourquoi. Les personnes qui ont vécu des situations de double contrainte dans leur vie mais qui ont été capables de ne pas être trop affectées par ces situations les percevront comme «quelque chose qui m'est arrivé comme d'autres événements difficiles dans ma vie » plutôt que comme «quelque chose qui a changé qui je suis ». Faire cela implique des capacités à «découper vers le bas » (tri par détails plutôt que par généralités) et «se désaccorder » (envisager les différences plutôt que les ressemblances).

La meilleure manière probable d'empêcher une situation de double contrainte de devenir une expérience récurrente, cependant, est de développer et d'appliquer des capacités qui aident à diffuser et transformer des doubles contraintes.

Doubles contraintes thérapeutiques

Une fois que l'on a maîtrisé les éléments de la double contrainte, on peut même commencer à créer des «doubles contraintes thérapeutiques » ou positives. Une double contrainte (positive ou négative) est plus fonction des significations ou des conséquences de comportement que des comportements eux-mêmes. Dans une double contrainte négative, l'objectif d'entreprendre une action spécifique ou d'éviter cette action est négatif ou nuisible. Dans une double contrainte positive, le résultat est positif ou précieux. Au lieu de «mettre mal» une personne, une double contrainte thérapeutique la «met bien », quoi qu'elle fasse, c'est-à-dire, au lieu d'être damné si vous le faites, et damné si vous ne le faites pas, vous «avez un bénéfice si vous le faites, et avez un bénéfice si vous ne le faites pas ». Comme exemple de double contrainte thérapeutique dans The Structure of Magic Volume I (1975), les fondateurs de la PNL Bandler et Grinder racontent le cas d'une femme de l'un de leurs groupes de thérapie qui déclarait: «Je ne peux jamais dire non à quelqu'un ». Bandler et Grinder lui recommandèrent alors, «Vous devez dire non à chaque personne de ce groupe. » La femme devait soit dire non aux membres du groupe soit dire non à Bandler et Grinder, c'est-à-dire dépasser sa croyance limitante dans chaque cas.

Remarquez que dans ce type de double contrainte thérapeutique, comme dans les doubles contraintes pathologiques, la «seconde injonction » est à un niveau différent de l'injonction primaire et n'est pas directement verbalisée. L'injonction primaire est à un niveau comportemental: «Vous dites "non" à chaque personne du groupe. » L'injonction secondaire - Ou bien vous devez, en fait, dire «non » à la tâche de dire«non » - est à un niveau supérieur et est communiquée par une présupposition.

Conclusion

Les doubles contraintes sont un phénomène difficile mais courant qui peuvent être à la fois source d'enrichissement et de créativité ou de stress et même de symptômes psychologiques sévère, selon le type de contrainte et les ressources que l'on est capable de mobiliser pour y faire face. En comprenant la structure profonde des doubles contraintes pathologiques, il est possible de développer des outils et des stratégies pour les dépasser ou les transformer. Il est également possible de construire des doubles contraintes positives ou « thérapeutiques » qui aident les gens à atteindre des objectifs désirés plutôt que créer de l'anxiété.