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Le pardon est une chose curieuse

Le pardon est une chose curieuse

par Kevin Creedon

Il y a quelques années, j'avais été invité pour enseigner la stratégie Bang-bang* lors d'un congrès sur le SIDA. La démonstration ne se déroulait pas bien. Barbara, qui s'était portée volontaire pour la démonstration, passait son temps à en vouloir aux autres. Son raisonnement était le suivant : « Puisque mon mari m'a infecté, c'est sa responsabilité de résoudre le problème. Et comme il en est incapable, lorsque finalement je mourrai ce sera de sa faute et il se sentira coupable ». Elle souffrait énormément et se sentait trahie par son mari.

Plutôt que de continuer à essayer de faire marcher mon modèle Bang-bang dans un contexte pour lequel il n'est pas conçu, j'ai proposé à Barbara de m'occuper d'elle après la fin de ma démonstration que je me proposais de faire avec quelqu'un d'autre. Le deuxième volontaire s'appelait Bill. Il ne savait pas qui l'avait contaminé et il ne cherchait pas à savoir. Cela ne le préoccupait pas. Il disait que c'était son problème et que le fait de savoir qui l'avait contaminé ne ferait aucune différence pratique. Notre travail avec la stratégie Bang-bang se déroula sans problème et Bill nous fit part de résultats remarquables. Pour la première fois, il eut l'impression de pouvoir enfin prendre soin de lui-même, même en faisant face à l'environnement quotidien particulièrement « toxique » auquel sont confrontées les personnes séropositives.

J'ai eu la chance de pouvoir reparler avec Bill et Barbara après cette démonstration et quelques faits intéressants émergèrent. Barbara est séropositive depuis un peu moins de 3 ans et a déjà connu 6 épisodes de maladies opportunistes. Le pronostic n'est pas bon; chaque test sanguin est pire que le précédent. Bill est séropositif depuis 8 ans et n'a connu qu'un seul épisode de maladie opportuniste.

Pourquoi Bill est-il en meilleur santé que Barbara ? Une des raisons possibles c'est qu'une bonne part des ressources mentales et émotionnelles de Barbara sont consacrées à générer du ressentiment et ne sont donc plus disponibles pour créer de la santé.
Le ressentiment est-il créé et activement entretenu ? Je pense que toutes nos émotions sont créées activement à chaque instant. Certaines personnes se considèrent comme passives par rapport à leurs émotions. Cela leur « arrive » comme si quelque chose avait poussé un interrupteur. Une fois que c'est allumé, il n'est pas nécessaire de garder le doigt sur l'interrupteur pour avoir de la lumière. Je pense personnellement que pour nos émotions, nous devons continuellement pousser sur le bouton pour les maintenir.
Imaginez par exemple que vous avez un pamplemousse dans votre main gauche. Dès que vous avez pris le fruit, votre main est complètement occupée. Cela demande de l'énergie de garder le fruit en main, chaque seconde prend une toute petite quantité d'énergie ; de l'énergie vitale qui pourrait être utilisée à quelque chose d'autre. Tenir un pamplemousse pendant une minute n'épuise pas vos ressources, mais que se passerait-il si vous le portiez pendant des années ? (et le ressentiment pèse beaucoup plus sur le système qu'un pamplemousse)

Plus tard dans la soirée j'ai travaillé avec Barbara comme promis. Je voulais voir ce qui se produirait si elle lâchait une partie de son ressentiment. Il devint évident qu'elle ne savait pas comment faire pour pardonner. Dans sa vie, elle n'avait jamais été pardonnée, ni n'avait pardonné à quelqu'un d'autre. Pardonner est un verbe non spécifique - donc la question devient - Comment font les gens pour pardonner ? Que signifie le mot pardon ? Le dictionnaire n'est pas très utile puisqu'il le définit comme l'action de pardonner. Cette nuit-là, cela nous prit quelques heures pour que Barbara arrive à la conclusion que pardonner signifiait lâcher le ressentiment. Lorsqu'elle se décida finalement, cela eut pour conséquence d'énormes changements dans sa physiologie, à tel point que quelques-unes de ses connaissances ne la reconnurent pas le lendemain matin au petit déjeuner et d'autres lui dirent qu'elle avait l'air d'avoir rajeuni de dix ans. Barbara, elle, se sentait beaucoup plus légère. Apprendre à pardonner eut un effet de guérison pour elle.

Ma compréhension du pardon s'est développée depuis ce jour. Je le définis actuellement comme le fait d'abandonner, pour toujours, le droit d'en vouloir aux autres. Cela signifie que le pardon est à la fois une promesse et un engagement de ne plus jamais revenir sur ce qui a été pardonné ; et ce autant de manière interne qu'externe. C'est un type particulier de pardon qui bénéficie au moins autant à celui qui pardonne qu'à celui qui est pardonné.

* Bang-bang est une stratégie mise au point par Kevin Creedon pour dévier l'énergie et les commentaires négatifs des autres d'une manière saine. Vous pouvez en trouver une description sur le site suivant http://www.ressources.be/modeles/strategie_bang_bang  (ndlr)