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La fourmi et l'abeille

La fourmi et l'abeille

par Marie-Sylvie Dionne

Le désir de reconnaissance et certains de nos conditionnements nous éloignent parfois de l'essence de la vie. Les comportements qui en résultent s'avèrent non-conscients et nourris à même une variété d'illusions. Et c'est ainsi que l'anxiété domine et nous prive du meilleur de soi.

La fourmi et l'abeille est un conte que j'ai créé pour favoriser une incursion pacifiante au coeur de nos vies anxieuses. Il permet à plusieurs clients de réfléchir sur le sens de leur vie. Il me fait plaisir de vous le partager:

Une fourmi à qui on avait enseigné depuis l'enfance qu'elle devait dédier chaque effort de sa vie à sa monarque, la reine, besognait sans relâche du matin au soir en espérant que celle-ci remarque sa dévotion et lui prête considération. Certains soirs, un groupe de fourmis l'invitaient à prendre part au jeu du labyrinthe.

"Allez, viens donc avec nous!

- Je suis exténuée, disait la fourmi. Et de toute façon, de votre jeu, je ne puis voir l'utilité pour les aspirations qui sont miennes. J'ai une famille à faire vivre et ce n'est pas en jouant au labyrinthe que je pourrai un jour accéder à meilleur sort. Amusez-vous si le coeur vous en dit, mais ne comptez pas sur moi.

- Devrons-nous te convaincre qu'un peu d'agrément allège la fatigue du travail acharné? Nos vies de fourmis sont si organisées et prévisibles. Un peu de place aux découvertes à travers les labyrinthes de la grande côte nous rappelle à chaque instant qu'il n'y a pas que des routes à creuser, que des matières à transporter. Pourquoi choisis-tu de croire que notre vie n'est qu'agitation et peine au coeur d'une fourmilière? Regarde autour de toi, fourmi, la vie te montre d'autres horizons.

- N'insistez pas. Qu'il vous plaise de philosopher, moi je n'ai pas le temps, ni les moyens d'errer."

Un jour, la fourmi emprunta le chemin des deux croisées pour quérir, comme elle en avait pris l'habitude, un nouveau présent susceptible de satisfaire les attentes pourtant inassouvissables de la reine. Une abeille qui passait par là aperçut la fourmi et, jugeant le moment propice à la pause, s'approcha de celle-ci pour un brin de conversation.

"Bonjour belle ouvrière! Quelle est donc votre quête en ce jour radieux?

- Je cherche un nouveau présent qui puisse combler ma reine.

- La combler? Quel grand défi vous avez! Votre reine doit beaucoup vous apprécier!

- C'est ce à quoi j'aspire, vous savez!

- Comment? Elle ne vous a pas encore signalé une quelconque reconnaissance?

- Il y a tant de fourmis dans la colonie. Pour aspirer se démarquer ou ne serait-ce que maintenir un rôle utile, il faut mettre les bouchées doubles. C'est cela notre réalité!

- Ne permettez-vous donc jamais à votre petite nature de manifester ses joies, ses plaisirs, son bonheur d'être en vie?

- Je ne suis qu'une ouvrière. De nombreux efforts m'appellent encore pour défendre ma place ou aspirer à un quelconque rang dans la hiérarchie.

- Dans quel dessein, chère amie?

- Celui d'éviter que ma vie ne soit celle du vermisseau.

- Qu'a-t-elle de si terrible, la vie du vermisseau?

- Je n'en sais pas grand-chose, si ce n'est qu'un vermisseau un jour m'a dit: t'as de la chance d'être une fourmi. Je lui demandai pourquoi en mon sort, tant d'envie. Il me répondit qu'il aurait aimé avoir le plaisir de collaborer sans ménage aux aspirations grandioses d'une monarque, mais que telle n'était pas sa destinée. Lui, devait fouiller les sols, ramper çà et là, sans qu'ête définie. J'ai cru en ce jour que si l'organisation dont je fais partie est conçue de façon telle à valoriser le travail et la hiérarchie, ne valait-il pas que je m'inquiète de miser assidûment sur mon travail, au risque de voir ceux de mon rang me remplacer au moindre manque de vigilance? Ma vie a, de cette façon, certes plus de sens que celle d'un vermisseau. N'êtes-vous pas de mon avis?

- Loin de moi, chère fourmi, d'évaluer qui du vermisseau ou de la fourmi a meilleure qualité de vie. Je sais seulement que si j'avais à vous faire le bilan de la mienne, vous en seriez morte d'ennui.

- C'est si terrible, la vie d'une abeille?

- Terrible, vous dites! Imaginez un seul instant passer votre vie à devoir ouvrir vos ailes pour effectuer quelques vols de reconnaissance au-dessus de millions de fleurs sauvages aux arômes sucrées et parfumées, en vous laissant porter par un vent qui vous assiste dans l'oeuvre de polliniser. Et puis, repue, le jabot plein d'une récolte délectable aux confins d'une journée bien remplie, vous blottir entre les pétales d'une rose pour profiter des derniers rayons du soleil, pleine de la satisfaction durable que procure le travail bien accompli. Et, finalement, le soir venu, fière de votre contribution pour la ruche, vous sentir privilégiée de partager avec la colonie des instants de confidences, de plaisir et d'harmonie. Ne voyez-vous dans cette vie, tout l'ennui que serait la vôtre chère fourmi?

- Mes occupations divergent des vôtres, sans contredit. Mais... je ne vois pas de votre vie en quoi rime l'ennui...! Permettez-moi de passer mon chemin... quelque chose en moi dérange l'ordre établi... J'ai soudain peine à me rappeler le but de ma présence ici...

- Vous cherchiez un présent pour votre reine!

- Vous en êtes vraiment certaine?

- Oui... enfin, il me semble! Puis, savez-vous, je n'en suis tout à coup plus certaine. L'abus de nectar crée parfois de ces absences...

- À qui le dites-vous, dame abeille. Trop de ceci, c'est comme pas assez de cela. Il est très facile de s'y perdre, croyez-moi!"

Tiré des Contes MEIP, créés par Marie-Sylvie-Dionne